Tribune : Le culte des chefs d’Etats, un poison dans les veines de la démocratie en Afrique de l’Ouest
Tribune : Le culte des chefs d’Etats, un poison dans les veines de la démocratie en Afrique de l’Ouest
Par Jean de Dieu SOVON
Quel que soit le régime politique sur lequel est bâti une nation en Afrique de l’Ouest francophone, l’image du président est toujours collée et mise en avant dans toutes les initiatives, programmes et projets. Tout tourne autour du président de la république, ce qui donne l’impression qu’à part sa personnalité, nulle autre personne ne dispose des aptitudes de leadership pour conduire et mener à bien les politiques de développement social et économique. Alors Bienvenue le culte de la personnalité, qui se révèle être un véritable poison pour la bonne gestion des affaires de l’Etat.
A quelques exceptions près dans l’espace francophone de l’Afrique de l’ouest, les démocraties dans tous les pays traînent ce virus qui ne trouve guère de remède pour le bien des peuples. Les proches collaborateurs et même certains gouvernés ne tarissent pas d’éloges voire d’adorations au président de la République.
Une pratique minutieusement préparée
Les premiers responsables des départements ministériels, députés, maires, autorités décentralisées et déconcentrées, à chaque occasion, chantent la litanie des chefs d’Etat. De la matière à revigorer la soif des présidents avides de pouvoir.
Dans son essai analytique, ‘‘ Les damnés de la terre ’’, Frantz Fanon expose ce côté pas très catholique de l’exercice du pouvoir en Afrique post-colonial. Il dénonce cette manière tribale ou ethnique du choix des autorités. Il dit à ce propos que :
“Les ministres, les chefs de cabinets, les ambassadeurs, les préfets sont choisis dans l’ethnie du leader, quelquefois même directement dans sa famille. (…) Cette tribalisation du pouvoir entraîne, on s’en doute, l’esprit régionaliste, le séparatisme. Les tendances décentralisatrices surgissent et triomphent, la nation se disloque, se démembre.”
Un tel environnement est un terreau fertile pour la culture et le développement d’un sentiment d’adoration du chef d’Etat auprès des gouvernés et administrés. Ces derniers nourrissent en eux, sans s’en rendre compte, un culte de la personnalité du chef de l’Etat. Le président est ainsi glorifié, adulé, loué, et élevé au rang de « leader charismatique ».
Un alibi pour sauter le verrou de la limitation des mandats
Le culte de la personnalité traduit souvent une loyauté personnelle des membres du cercle très fermé des dirigeants africains et offre aux présidents africains une sorte de canal pour la consolidation de leur pouvoir sans passer par des élections. Les institutions étatiques, loin d’être des instruments de gouvernance, ne sont pas plus que les cadres de représentation du prolongement de l’influence du chef de l’Etat.
Du Burkina-Faso en Gambie en passant par le Tchad, la Côte d’Ivoire, … ils sont légion ces pays qui ont connu des dirigeants à vie en Afrique de par le passé. Dans ces pays précités et d’autres, l’image du président est vénérée et représente le symbole parfait de réussite, de force et de puissance contre les forces du mal qui complotèrent pour déstabiliser le pays. Le bien-être des populations, la cohésion sociale, la paix, le développement économique et même les réussites sur le plan culturel et sportif dépendent du chef de l’Etat.
Des discours de gloire et d’honneur à l’endroit des chefs d’Etat prouvent à suffisance à ces derniers qu’ils sont les plus éclairés, les guides suprêmes et les seuls à disposer des aptitudes à diriger le pays et à le conduire sur le chemin de la prospérité. Ils ne tardent pas à enclencher les processus de révisions constitutionnelles soit pour insérer de nouvelles dispositions afin d’être éligible aux élections nouvelles présidentielles à la fin de son exercice à la tête du pays ou pour se conférer les pleins pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire).
Des outils dont usent ces chefs d’Etat, s’ils savent bien qu’ils ne font plus l’unanimité auprès du peuple qui l’a pourtant élu. Ils ne voient plus de limites à leurs soifs du pouvoir et seraient même prêts à user de tous les moyens pour se maintenir au pouvoir au cas où leurs constitutions prévoient des dispositions pouvant les empêcher de se représenter. Si la génération des chefs d’Etat après les indépendances l’a connue, la nouvelle génération des présidents africains depuis les années 2000 ne semblent pas voir en cette façon de gouverner une pratique anormale. ‘‘ Quiconque a le pouvoir, a tendance d’en abuser ’’ dit-on !
Entrave à l’alternance démocratique
En Afrique, l’on a l’habitude de croire que l’alternance démocratique est forcément liée au changement de parti à la tête du pays. Mais le simple changement de personnalité (hormis les membres de la même famille) à la tête du pays peut, aussi, être capitaliser comme alternance démocratique. Mais le culte de la personnalité au sommet des Etats et dans les partis au pouvoir n’encourage même pas les membres des partis au pouvoir à nourrir des ambitions politiques de longues portées, c’est-à-dire devenir président de la république. Ceci est vu comme un affront au guide suprême ou comme une sorte de tentative de coup d’État. Ces derniers se contentent juste d’occuper des postes à haute responsabilité dans la sphère politique. Le plus haut poste dans ces cas de figure est celui du premier ministre, pas plus.
Même si l’opposition en face tente de dénoncer cette pratique qui érige la personnalité du chef de l’Etat en un dieu, les proches collaborateurs et disciples du président usent d’une part, de discours répressifs, de campagnes, de diffamation et de toutes les pratiques pouvant dénigrer ces acteurs politiques qui tentent de remettre en cause la gouvernance.
D’autre part, des manifestations et activités ne cessent d’être initiées pour renforcer le pouvoir et l’influence du président de la république. Distribution des vivres et non vivres, gadgets et biens nécessaires à la survie des populations à l’effigie du chef de l’Etat et de son parti mais au frais du contribuable sont monnaies courantes.
Des médias sont mis à contribution
Le succès de la plupart des régimes nourrissant des cultes de la personnalité des chefs d’Etat se reposent souvent sur des médias. Considérés aujourd’hui comme le 4ème pouvoir, les médias ont la possibilité de changer les mentalités et les habitudes comportementales des populations. A l’ère de la digitalisation, les médias sociaux viennent s’ajouter aux médias classiques qui accomplissaient déjà cette mission de propagande à eux confiés par les caciques des pouvoirs en place.
Bien que des médias d’Etat servent de circuit pour la réussite de cette mission, d’autres médias privés, sur initiatives des barons et collaborateurs des chefs d’Etats voient le jour. Ils participent efficacement au renforcement de cette propagande avec pour but le maintien au pouvoir du régime en place avec ces dérives.
Tout compte fait, déconstruire cette idéologie du culte des personnalités revient à rééduquer les populations sur la gouvernance démocratique, la gestion des affaires de la cité, l’obligation des autorités de rendre compte de l’exercice du pouvoir politique, etc… Le dernier mot revient au peuple !
Par Jean de Dieu SOVON, journaliste spécialiste des droits de l’homme, paix, sécurité et bonne gouvernance